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La Gniaque
14 mars 2017

Le cancer telle une course d'endurance est un sport solitaire

Ma vie doit composer avec les traitements pour lutter contre le cancer mais aussi avec tous les effets de bord qui en découlent. La reconstruction en fait partie. Elle n'est pas indispensable médicalement parlant mais c'est à cause du cancer que mon apparence physique a été modifiée et que je tente d'y remédier.

Ma vie est comparable à une longue course d'endurance à laquelle on a ajouté quelques obstacles pour corser l'épreuve.
C'est au quotidien, c'est tout au long de ma vie que je dois fournir de la résistance, de la ténacité. Tenir bon, continuer à avancer un pas après l'autre, ne jamais abandonner, ni s'avouer vaincue mais toujours persévérer malgré les coups répétés assénés par la maladie, malgré l'usure physique et le répit que réclament mon esprit et mon corps. Si je faiblis physiquement, c'est le mental qui doit prendre la relève.

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Ça semble facile à écrire mais je peux vous dire que c'est très lourd à vivre certains jours. L'envie de tout arrêter est venue très rarement me titiller mais elle m'a narguée les jours où le moral et le corps étaient de plomb.
Et puis un rayon de soleil, le sourire d'un proche, un geste tendu, le souvenir d'un moment heureux me redonne la minuscule étincelle qui m'a fait défaut un instant et je reprends ma course d'endurance.
D'autres jours, je ne sens même plus ce fardeau, il fait tellement partie de mon quotidien, tout semble facile, évident. Mais la vie est une succession de jours heureux et malheureux et je ne me lève pas d'humeur égale. Des moments de vie qui m'ont été volés s'immiscent de temps à autre, brièvement mais me rappellent tout ce que le cancer m'a pris, physiquement, professionnellement, socialement...

La seconde étape de ma reconstruction a eu lieu voici 6 semaines. Je suis très satisfaite du résultat et de ce corps symétrique que je retrouve. Mon chirurgien a fait du bon boulot mais les trois semaines qui ont suivi cette intervention ont été difficile à vivre.
Mon problème est que je ressens de plus en plus intensément la lourdeur des jours après une intervention.
Je n'ai aucune inquiétude sur l'opération en elle-même, je sais que je suis très bien entourée, que ces médecins pratiquent ces gestes tous les jours, je me sens en confiance. J'attends avec impatience, le moment où l'anesthésiste me pose un masque sur le visage en me demandant de respirer pendant qu'enfin il m'injecte le produit anesthésiant qui m'envoie dans cet entre-deux où la conscience disparaît ainsi que toute sensation.
La difficulté, c'est après, au réveil, lorsqu'on tente un mouvement. Oh pas grand chose ! Attraper son portable pour envoyer un sms rassurant à ses proches. Obligée de calculer, mesurer, analyser les gestes qu'il va falloir effectuer sans solliciter les zones sensibles. On peut mettre un quart d'heure pour enfin tenir le précieux sésame dans les mains.

Je n'active jamais le téléphone fixe de ma chambre, je préfère fonctionner avec mon portable, activé lorsque je suis disponible, je peux même choisir à qui parler et surtout ne pas me faire réveiller par un appel qui pouvait attendre. Je suis ivre de sommeil après une anesthésie générale. Je dors et tenir une conversation me demande à certains moments des efforts surhumains pour lutter contre l'endormissement donc la gestion de mes appels m'apporte un grand confort. Je ne veux pas non plus de visite le jour de mon intervention, le lendemain avec grand plaisir. Mon besoin de dormir est trop impétueux.

La répétition de ces passages au bloc, de ces traitements, de ces périodes de doute, a mis en évidence la solitude ressentie face à la maladie, à une divergence des ressentis de mon entourage, ceux qui m'accompagnent, et de moi-même, celle qui subit.
C'est en fait dès l'hospitalisation que nous ne sommes plus sur la même longueur d'onde. Nous sommes déconnectés. Tous mes proches appréhendent l'intervention, m'appellent la veille et les heures qui précèdent, ils sont tracassés de ne pas pouvoir me joindre dans ma chambre, ont déjà désigné qui allait appeler les infirmières pour être rassuré et faire passer cette bonne nouvelle. Pendant ce temps, j'attends avec impatience d'en avoir fini avec l'intervention, je ne ressens ni angoisse, ni inquiétude. Décalage entre mes émotions et les leurs.
L'intervention a lieu. Je dors, eux ont évalué le temps et déjà appelé une ou plusieurs fois pour qu'enfin on leur annonce que tout s'est très bien déroulé et que je suis de retour dans ma chambre ou sur le point de l'être. Pour eux, l'affaire est close, le plus dur est passé, ils sont soulagés. Moi je dors encore, inconsciente ou justement je suis enfin assez éveillée pour tenter l'envoi du sms qui me demande tant de stratégie et d'efforts. Le plus dur commence pour moi, le plus difficile vient de se terminer pour eux.
Décalage encore.

Ils m'envoient des sms, je les ai peu à peu tous au tél ou j'ai répondu à leurs messages, j'ai publié sur les réseaux sociaux. Tous me manifestent leur soutien. On m'enveloppe de chaleur. Je suis aussi très entourée à l'hôpital, on ne cesse de surveiller mes pansements, de prendre ma tension et ma température. je n'ai rien à faire, on me prend totalement en charge. On me sert mes repas, on fait mon lit, on m'aide dès que je sonne. Et pourtant me lever, me laver, manger allonger puis assise est un Himalaya à atteindre et seule j'en affronte la difficulté.

Je sors enfin de cet univers médicalisé pour retrouver mon chez-moi.
On m'appelle encore pour s'assurer que je suis bien rentrée à mon domicile. Et ensuite, plus beaucoup de nouvelles, j'ai repris ma vie, ils reprennent la leur. Sauf que ce n'est pas ma vie habituelle, c'est une course d'obstacle et j'ai bien du mal à la franchir sans aide. Me laver, m'habiller, faire mon lit, refaire peu à peu des gestes quotidiens me coûte.
Je me vois enfin dans un miroir, quelle que soit l'opération, il n'y a qu'un médecin pour trouver ça réussi. C'est moche, sanguinolent, douloureux et c'est un nouveau soi à accepter, à appréhender. Ca demande du temps, de l'énergie, des pleurs de temps en temps, et c'est à ce moment-là qu'on se sent vraiment seul face à soi-même. L'entourage est retourné à sa vie, rassuré de savoir qu'on a repris la notre, incapable de mesurer les épreuves qu'on vit que ce soit par inexpérience, par manque d'empathie ou par déni.
Plus les opérations sont nombreuses, plus les épreuves reviennent fréquemment, plus les proches s'habituent et plus je ressens la solitude du vécu de la maladie et de tous ses effets délétères.
J'ai le sentiment d'un grand passage à vide où je dois fournir le plus d'énergie au moment où j'en ai le moins. Je le vis mal, de plus en plus mal et je ressens l'incompréhension de mes proches. Nous sommes trop déconnectés à ce passage.
Quand je recommence à vivre presque normalement, la connexion se rétablie. Mais c'est au moment où j'aurais le plus besoin d'être entourée, que je me sens la plus seule.
Je ne suis pas seule réellement, ma famille est là, mon mari a même pris deux semaines de congé d'aidant familial pour être à mes côtés, c'est psychologiquement que je me sens si seule pour affronter ces changements.

La notion du temps aussi creuse un fossé. Lorsqu'on est pris dans le tumulte de la vie quotidienne, une semaine, c'est un claquement de doigts. Lorsqu'on est convalescent, tout demande du temps, tout est long, on vit à un autre rythme, au ralenti.
On se dit "il faudrait que je l'appelle ou que je passe la voir" et puis l'occasion est passée et reportée. Pendant ce temps, moi, la malade, je mets 2h pour me laver le corps par morceaux à cause des pansements et de mon manque d'énergie. je me déplace doucement en faisant bien attention à ne pas me faire mal, je passe des heures sur mon canapé ou dans un fauteuil à lire, regarder un film, jouer à des jeux sur ma tablette, à parcourir les réseaux sociaux, bref à passer le temps le plus agréablement possible en dépensant le moins d'énergie puisque je n'en ai pas ou si peu.

La répétition de mes épreuves a aussi un effet d'usure et d'habitude sur mon entourage à mon désavantage. L'anormal devient la norme, les réactions sont érodées. La surprise et l'inconnu de la première fois ne fonctionnent plus, moins de crainte de me perdre et donc moins d'énergie et de temps consacrés à me soutenir. Pourtant ces épreuves sont toujours aussi éprouvantes à vivre, je pense même qu'elles sont plus rudes, je sais à quoi m'attendre et je sens que mon corps est fatigué de tous ces coups reçus.

Concernant ma convalescence, la première semaine j'ai eu mal au ventre à cause de la morphine injectée pendant l'opération. La seconde semaine j'ai eu un gros rhume qui a dégénéré, mon généraliste m'a mise sous antibiotiques et cortisone, les premiers m'ont bousillé l'estomac, la seconde a suscité de nombreuses insomnies. La sensibilité est revenue à ce moment-là et j'avais mal. J'ai pu mesurer combien la douleur avait un effet néfaste sur le moral. Le mien était au fin fond de mes chaussettes.
La troisième semaine, la fatigue m'a assommée et ne m'a pas quittée. J'ai mis une journée entière avec un peu de fièvre pour me remettre de 20mn de marche et deux jours pour avoir fait les courses au monop de mon quartier avec livraison à domicile.
En parallèle, des croûtes noires sont tombées autour du mamelon reconstruit et ça suintait, c'était moche, le résultat semblait si loin encore. Conduire m'était impossible, je ressentais tous les cahots de la route, ça tirait sur mes cicatrices et passer les vitesses m'était douloureux.
La quatrième semaine, je suis partie en vacances à la montagne et la forme, toute relative, est peu à peu revenue.

J'ai enfin repris le travail ainsi qu'une petite perfusion d'herceptine, mon quotidien, ma course d'endurance, l'obstacle est franchi jusqu'au prochain qui se présentera. Je suis revenue dans la même dimension temporelle que mes proches. Le cancer se fait moins présent, je me reconnecte à la vraie vie, à son rythme trépidant, à mes proches. L'écart qui s'était creusé entre ma vie et les leurs, mes difficultés face à la maladie et les leurs, se comble en partie, pas totalement car ma course d'endurance continue et elle ne peut être que solitaire. Mon expérience a banni la tranquillité de ma vie et l'a remplacée par la vigilance. Les décès d'Hélène et de Manuela ne peuvent qu'illustrer cruellement que le cancer est fourbe et qu'il ne faut jamais le sous-estimer. Elles me manquent, cette injustice me bouleverse.

Le mois prochain, ça fera 11 ans que le cancer s'est invité dans mon corps, 6 passages au bloc depuis. Si c'était à refaire, je le referais sans hésitation malgré ce que j'ai enduré. J'ai retrouvé avec joie un vrai faux sein. Je refais attention à moi, je suis repartie faire les boutiques. Je peux porter des vêtements que j'avais remisés depuis 2015 dans mes placards pour cause d'incompatibilité avec ce sein mutilé. Je me sens mieux. Le printemps arrive et me transmet un peu de sa vitalité. Je revois le chirurgien le jour de mon anniversaire, en mai. Il planifiera la prochaine opération, certainement en juin. Il rééquilibrera les volumes entre les deux seins en prélevant de la graisse, il procédera aussi à l'ajustement de la longueur du téton reconstruit et au tatouage de l'aréole. On devrait en avoir terminé avec cette reconstruction. Il restera la cicatrice façon Frankestein de mon dos à reprendre.

Et pour conclure une petite citation de Bob Marley :

"Tu ne sais jamais à quel point tu es fort jusqu'au jour où être fort reste la seule option".


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Commentaires
K
Je me demande qui t’a opéré et dans quel hôpital, j’habite Pau, mais chance de guérison sont très mince, et pour la ponction il parait que c’est horrible, certaines femmes s’évanouissent.n.peus tu me donner l’adrese De l’hopital quim’a l’air bien. Tu es un exemple pour nous, je te souhaite bcp de bonheur et la guérison, tu es une super guerrière ❤️😘
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K
Bravo pour votre courage, votre force mentale, je t’admire, tu peux me dire où tu t’es fait opérer s’il te plaît ,? Car à Pau je ne le sens pas . J’ai trésor peur. J’ai honte vis à vis de tant de courage. Je vous embrasse et mes pensées sont avec vous de tout coeur. Vous êtes un exemple pour nous tous. Je te souhaite bcp de merveilleux bonheurs.
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P
Un texte et un récit bouleversant où je me reconnais un peu. dans les douleurs, dans la notion de temps, dans l'attente des proches.<br /> <br /> très belle citation à la fin.<br /> <br /> C'est un dur combat que tu mènes et depuis si longtemps.<br /> <br /> Que la suite te soit douce et que le cancer te laisse de plus en plus de répit, c'est tout le bonheur que je te souhaite.
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M
Bonjour Isabelle !<br /> <br /> Merci pour votre témoignage très important pour ceux <br /> <br /> qui vivent avec le cancer et ses cellules maléfiques.<br /> <br /> Par votre sort, en proie aux incertitudes devant l’avenir<br /> <br /> mêlé aux souffrances et aux épreuves accablantes,<br /> <br /> mon admiration pour votre courage exemplaire !<br /> <br /> En espérant pour vous une stabilité durable grâce aux progrès des traitements actuels. <br /> <br /> Faire confiance reste aussi la seule option !
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J
Cela me touche beaucoup.. j'ai vécu sa dans ma famille également, ensemble nous surmontons le problème!
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