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La Gniaque
27 octobre 2017

Reconstruction : clap de fin

J'ai eu la dernière opération de ma reconstruction mammaire le lundi 4 septembre 2017, la dernière d'une très longue série de trois.

Ces trois opérations ont été éprouvantes physiquement et psychologiquement, le résultat est vraiment top, j'en suis très satisfaite mais si je devais repasser par là pour l'autre sein, j'aurais quelques hésitations à revivre ce long chemin si traumatisant.

Le pire revient sans conteste à la première opération, 15 juin 2015, qui a consisté en une mastectomie avec reconstruction immédiate et presque trois mois d'arrêts derrière. C'était douloureux, handicapant au quotidien pendant plusieurs mois et comme j'ai eu droit à une complication, une nécrose dans le bas du sein, je devais avoir des soins infirmiers tous les jours, pendant ces trois mois. C'est extrêmement contraignant et le temps semble s'écouler si lentement, on n'en voit pas la fin, sans parler des incertitudes sur le résultat final. Je vous renvoie ici et , les billets que j'ai écrits à ce sujet.

Je devais enchaîner avec la seconde étape, début 2016, et puis je me suis retrouvée à batailler contre les changements de prise en charge par les mutuelles, le Contrat d'Accès aux Soins ou CAS (objet d'un billet qui a fait pas mal le buzz). J'ai passé quelques mois avec une grande frustration, de la colère, un immense sentiment d'injustice et j'ai fini par trouver une solution pour terminer cette reconstruction avec le même chirurgien sans devoir payer plusieurs milliers d'euros pour retrouver une apparence en adéquation avec une acceptation psychologique. Je ne peux pas vivre avec un seul sein, j'en souffre, je rumine, j'aime encore moins mon corps. Je suis ainsi faite, je suis pourtant bardée de cicatrices mais le sein en moins, c'est trop pour moi, je préfère avoir supporter toutes ces opérations, mon énergie en berne, et ces baisses de moral...

Mon chirurgien a réalisé la seconde partie de la reconstruction cette année, le 23 janvier 2017, une année plus tard que prévue (billet ici). J'ai vécu 18 mois avec cette prothèse que je ne supportais plus, d'autant plus que j'avais un micro sein en dessous et qu'elle glissait doucement vers la droite et que ça ne ressemblait à rien. La cicatrice du dos s'était élargie façon Frankeinstein. Je ne m'acceptais pas du tout et ce délai imposé par le changement de réglementation avec ce CAS m'est définitivement resté en travers de la gorge.

Pendant ma convalescence, Hélène et Manuela sont décédées. La morphine que je ne supporte absolument pas m'a donné des douleurs terribles, je suis tombée malade là-dessus avec cortisone et antibiotiques. La fatigue, les douleurs, l'injustice de ce cancer ont miné mon moral, j'ai eu des grands moments de solitude (un autre article ici). Mais de toute façon, je suis convaincue que quelles que soient l'empathie et la bienveillance de l'entourage, on est extrêmement seul sur le chemin de la maladie, un grand face-à-face avec soi-même.

Cette seconde opération a permis de laisser tomber la prothèse, de pouvoir remettre des maillots de bain presque comme tout le monde, seuls les bandeaux me vont et dissimulent les traces trop visibles, pour moi, du cancer.

Et j'ai enfin subi la dernière étape qui marque la fin de la reconstruction, enfin pas complètement une fin, la fatigue de deux interventions en une année va me prendre une autre année pour disparaître, mon manque déjà permanent d'énergie à cause des perfusions n'arrange rien. Elle a consisté à :

  • reprendre complètement la cicatrice du dos, ça tiraille bien à nouveau mais c'est seulement moche maintenant, pas monstrueux, ça a changé de registre. Pour précision, cette cicatrice horizontale mesure plus de 20 cm.
  • prélever de la graisse dans des endroits encore jamais prélevés. Cette fois-ci, ça a été fait dans l'intérieur des cuisses et surtout sous la taille, dans le bas du dos. Cette zone me fait encore mal, c'est extrêmement douloureux.
  • Réinjecter cette graisse dans le dos creusé par le bout de grand dorsal découpé avec gras et compagnie.
  • Réinjecter aussi dans le sein reconstruit pour compléter son volume.
  • Retailler le faux mamelon réalisé en peau de dos depuis janvier.
  • Tatouer l'aréole réalisée en janvier avec de la peau de l'autre sein. Le tatouage est en fait une coloration de cette peau pour qu'on ne voit aucune différence avec l'autre aréole, c'est bluffant.
  • Et le plus long et compliqué pour mon chirurgien a été d'allonger le déroulé du sein reconstruit, il n'était pas comme prévu à cause de la nécrose à cet endroit.

Cette intervention a duré 2h30 et le lendemain on m'a renvoyée chez moi sans se soucier si j'avais des aidants, où j'habitais...
J'étais à ramasser à la petite cuillère et incapable de tout, même de me faire à manger ou d'aller à la pharmacie. Si j'avais été seule, à la campagne, comment aurais-je pu aller chercher mes pansements à la pharmacie, m'acheter à manger ? Ça ne semble pas être du tout les préoccupations du personnel médical, on t'opère, on te renvoie chez toi et débrouille toi. Je trouve que c'est manquer totalement de respect au malade, le considérer vraiment comme un bout de viande, absence totale d'humanité de la part du milieu médical. Les actes chirurgicaux terminés, hop dehors. Heureusement mon mari a cuisiné, est allé à la pharmacie, mes filles ont aidé pour toutes les corvées ménagères et surtout elles sont assez grandes pour aller en cours seules et en revenir. Aucune gestion du retour à domicile quand on est dans un état de grande dépendance, aucune proposition logistique pour donner un coup de main et ne pas aller au-delà de ses forces.

Encore une fois, j'ai été incapable de bouger de mon canapé pendant au moins trois semaines. J'ai eu un soupçon d'énergie, je suis sortie profiter du beau soleil qui me narguait derrière mes fenêtres, une femme a toussé trop près de moi, je suis tombée malade. Et c'était reparti pour les antibiotiques et la cortisone.

J'ai repris le travail après 5 semaines d'arrêt et deux perfusions d'herceptine. C'était trop tôt, j'ai eu une migraine carabinée qui ne m'a pas quittée jour et nuit pendant une semaine. Je précise qu'on m'avait passé en demi-salaire, je n'ai droit qu'à 3 mois d'arrêts par an et mes chimios en consomment un mois par an alors deux hospitalisations sur la même année ont épuisé le reste de mes droits.

Au fait on m'a aussi supprimé ma carte d'invalidité qui me permettait d'écourter la queue aux files, essentiellement de la pharmacie dont je dépens et qui est digne des pharmacies américaines, immense avec des dizaines de pharmaciens et qui a fait fermer toutes les autres pharmacies dans un très grand périmètre autour de chez moi. Suppression aussi de la carte de stationnement, j'habite en plein centre ville, je suis incapable de me déplacer dans les transports en commun, entre les microbes que j'attrape et le risque que quelqu'un me bouscule à un endroit où il ne faut pas toucher, je préfère ma voiture. Le motif du refus est que je n'ai pas besoin d'un chauffeur tout le temps. Je peux conduire seule. Je tenterai une autre approche du remplissage du dossier l'année prochaine, je n'ai pas eu le courage de refaire une nouvelle demande.

Je sens enfin l'énergie me revenir petit à petit, attention rien de dingue, mais juste assez pour arriver à faire mes tâches quotidiennes sans que ça semble insurmontable.

Depuis l'année dernière, ils surveillent de plus près l'autre sein, le vrai. J'ai eu une biopsie dedans, l'an dernier, et cette année, après échographie, mammographie et IRM en mai, j'ai dû repasser une autre IRM, fin août, juste avant l'opération. A priori, rien d'anormal mais ce sursaut d'inquiétudes du radiologue sur ce sein ne me rassure pas. Je sens, qu'un de ces jours, on va me dire qu'il va falloir aller tailler dedans ou d'autres misères de cancéreux à subir.

Mais chaque jour suffit sa peine, je profite donc de ce calme relatif, ayant bien conscience qu'à tout moment, la tempête peut revenir. Je savoure la fin de cette reconstruction. J'espère que le cancer me laissera assez de temps pour recharger les batteries mais il n'est pas du genre bienveillant, plutôt trop envahissant. Je passe les contrôles de mon abdomen mi novembre, impossible de laisser le cancer totalement hors de ma vie. C'est le prix à payer pour savourer davantage tout moment sans cancer.

Pour toutes celles qui auraient envie de passer par une reconstruction, sachez que c'est long, que vous y laisserez beaucoup d'énergie, que vous aurez mal mais rien d'insupportable, mais que le résultat est à la hauteur des espérances lorsque le chirurgien choisi maîtrise la technique retenue. Attention, gardez bien en tête que votre sein est définitivement perdu, que c'est un faux sein qu'on vous crée, un vrai faux sein, vivant mais qui n'a rien d'un sein au niveau sensibilité, sensations, fonctionnalités. Ce n'est que de l'esthétique, un morceau de chair avec un peu de muscle déplacé mais rien à voir avec ce que vous aviez avant la mastectomie. Il ne remplacera jamais le sein qui a nourri votre bébé, qui a pu émoustiller votre désir, qui était une partie de vous. Celui-ci est un faux, même tellement bien réussi qu'on ne pourrait pas faire de différence visuelle entre les deux. Une reconstruction ne vous fera pas échapper au deuil consécutif à la mutilation imposée par le cancer.

Je pense que mon prochain billet sera enfin un peu plus éloigné de cette bataille contre le cancer, j'ai le bonheur de vivre les 16 ans de ma fille dans une semaine, ça fait deux semaines que je nage dans le bonheur juste parce que je suis là, en vie pour le fêter et la voir devenir une si belle personne. Ça fait 11 ans et demi que je vis grâce à ma potion magique, herceptine. Mes filles avaient 4 et 1 ans. On a pu s'en créer des souvenirs pendant tout ce temps gagné avec tous ces moments vécus ensemble. Comme je suis une irréductible optimiste, je suis totalement tournée vers cet anniversaire, des vacances dans le Var, à partir de demain, et je mets de côté la énième perfusion passée hier, le scanner à venir, l'échographie cardiaque de contrôle, l'oncologue à rencontrer, le stress qui ira avec...

Alors à défaut de pouvoir faire un clap de fin sur le cancer, je le fais sur cette étape importante, la reconstruction, qui m'a accompagnée pendant 2 ans et demi.

clap_fin

 

 

 

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Commentaires
A
Bonjour<br /> <br /> Je vous suis depuis des années, on a des parcours très similaires toutes les deux, Meta au foie et herceptin depuis des années et des filles de 4 ans au premier diagnostic. Bravo pour tout ce que vous écrivez. J’aimerai bien communiquer avec vous, je suis une connaissance d’Helene et une très bonne amie de Jennifer , sein serment solidaire. Je fais une étude sur les cancers du sein métastatiques. Mon envie est d’augmenter notre visibilité pour qu’on reconnaisse nos besoins. Moi aussi on m’a supprimé mes cartes par ex ...<br /> <br /> À bientôt et bon anniversaire à votre fille <br /> <br /> Anne
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O
Bonjour, quelle expérience de vie ! Et quel courage, quelle ténacité face aux obstacles annexes rencontrés ! Autant de raisons de vous dire mon admiration et de vous souhaiter maintenant la paix dans votre vie et dans votre corps Votre optimisme et l'amour des vôtres vous ont sauvée ! Poursuivez avec bonheur votre chemin et profitez de chaque instant de joie semé sous vos pas ! oceandefleurs
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L
Hier c'était aussi la date de départ d'Anne-Sophie... cette saloperie en a fait des dégâts... alors comme je suis contente de te lire encore et encore Et comme je me souviens de tes posts parlant de cette terrible peur de ne pas voir tes filles grandir... Et Bien ça fait un putain de plaisir partagé Et compris de fêter ces 16 ans !!!! Alors TRÈS bon anniversaire... à TOUS Et grosses bises 😻😘😘😘
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O
Merci Isabelle pour le partage de ce chemin de vie incroyable, bourré de courage, d'obstination, d'espoir, de ténacité. Vous êtes une trés belle personne, même avec un sein différent.<br /> <br /> J'ai eu un cancer du sein avec récidive ... 24 ans après le premier, mais j'ai eu la chance de m'en sortir à chaque fois avec une opération et des rayons. Ce dont je voudrais parler ici, c'est de ce qu'a vécu ma meilleure amie il y a ... une vingtaine d'années, et qui n'a rien à voir avec tout ce que je lis. Elle a eu une mastectomie, mais lors de l'opération, on lui a posé une poche à l'intérieur du sein qui a été peu à peu remplie d'un liquide (une sorte de sérum) jusqu'à ce que le volume à atteindre soit le bon. La reconstruction du mamelon a été la plus douloureuse parce qu'on a pris des tissus... dans les grandes lèvres. Ceci dit, elle a depuis 20 ans un sein reconstitué sans rien de toutes les horreurs dont vous parlez et dont j'entends parler par ailleurs. Et j'ai du mal à comprendre pourquoi une telle différence dans les possibilités de reconstruction...<br /> <br /> Je voudrais terminer en disant que je trouve inique la façon dont on traite les patientes qu'on renvoie chez elles sans aucune aide, sans aucune inquiétude sur la façon dont elles vont devoir gérer leur quotidien... Le milieu médical, dans notre pays dit civilisé, est pour certaines choses, au-dessous de tout.<br /> <br /> Bon courage et je suis sûre que ce courage va payer ! Je ne vous connais pas mais je vous embrasse quand même.<br /> <br /> Odile
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B
Je suis très heureuse de te lire! Bon anniversaire à ta fille...16 ans c'est l'âge de notre petite-fille qui vit au Québec, elle avait 2 ans quand j'ai eu mon CS...<br /> <br /> Pour avoir eu une reconstruction avec la même méthode que toi, je connais les douleurs, les inconvénients mais j'apprécie aussi d'avoir autre chose que du vide! Tu fais bien d'avertir que ce n'est pas un vrai sein...Il reste complètement insensible, il n'apporte aucun plaisir sensuel, il est là, c'est tout. Mais on n'avait pas trop le choix, alors...<br /> <br /> <br /> <br /> On ne parle pas ou si peu, du désespoir qu'on éprouve d'avoir un corps blessé, abîmé, si peu sexy... Et qu'il faut s'armer de patience pour retrouver le chemin du plaisir, à condition d'avoir un partenaire aimant et qui nous donne confiance! Je suis hérissée d'entendre dire que je suis vivante alors ça devrait me suffire!<br /> <br /> <br /> <br /> Depuis quelque temps le mamelon de mon sein sain rentre, il y a eu un écoulement et ça m'inquiète. Rien de décelable à la mammo, ni à l'écho, mais on m'a dit que parfois si un canal est atteint les images ne montrent rien au départ. Pas trop rassurant!<br /> <br /> Comme d'habitude j'essaie de rester zen, de profiter de chaque jour...<br /> <br /> <br /> <br /> Je t'embrasse très tendrement!
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