Chroniques ordinaires d'une cancéreuse
Je viens de partir une semaine en vacances, en Espagne, au sud de Barcelone. Lorsque je quitte Lyon, je tente toujours de faire comme si je laissais aussi mon cancer derrière moi. Mais ce n'est pas toujours évident, le cancer fait partie intégrante de ma vie, bien au-delà des perfusions, toutes les 3 semaines.
J'avais envie de vous raconter un peu de mon quotidien avec cet hôte si encombrant malgré tous mes efforts pour lui donner le moins de place possible.
Deux semaines avant mon départ, j'ai dû passer mon contrôle annuel des seins. Je l'ai raconté dans un autre article. Toujours est-il que le radiologue a commencé par prévoir une biopsie au retour de mes vacances de Pâques.
Comment passer des vacances dans de bonnes conditions avec un tel rendez-vous au retour ?
S'il avait préféré la faire immédiatement, j'aurais "juste" eu un pansement momie autour des seins pendant 24H et ensuite un magnifique hématome pendant une semaine. Comme mon séjour comprenait jacuzzi, hammam, piscine et bronzage, il aurait été impossible de ne pas y penser en permanence !!!
Finalement sauvée, il a décidé de réévaluer la gravité et de ne prévoir qu'une mammographie dans plusieurs mois. Mes vacances seraient sereines.
Mais c'était sans compter avec cet invité indésirable.
La semaine précédent mon départ, mes filles étaient en vacances. Nous étions à la montagne pendant plusieurs jours et je devais rentrer sur Lyon, avant notre départ en Espagne pour recevoir mon injection d'herceptine.
J'avais fait décaler les dates, la dernière perfusion datait de 4 semaines au lieu des 3 habituelles. J'avais eu une semaine de grâce supplémentaire. Au moins j'allais partir fatiguée en vacances et reprendre le travail en forme sans perfusion dès ma reprise comme c'est souvent le cas.
Je vous avais raconté la proposition insolite de l'oncologue qui gère les perfusions à domicile (mais pas mon suivi médical). Il m'avait accordé 4 semaines d'espacement entre 2 perfusions que je demandais à titre exceptionnel et il avait même ajouté que c'était possible de me passer de façon permanente à une perfusion toutes les 4 semaines au lieu de 3 semaines à condition d'augmenter la dose du produit en conséquence, 8 mg/kg au lieu de 6 mg/kg. Il lui fallait l'aval de mon oncologue. Cette proposition très tentante ne tenait pas la route pour elle, ne reposait sur aucune étude fiable. Donc on en restait à ce rythme de 3 semaines et à la dose de 6 mg/kg.
Mais c'était sans compter sur l’opiniâtreté de ce médecin qui avait signé l'ordonnance de ma prochaine poche à préparer avec un dosage de 8 mg/kg. Ce qui correspond à la dose de charge administrée lors de la toute première perfusion d'herceptine.
Je n'en savais rien, bienheureuse insouciante.
J'étais sur la route entre les Alpes et Lyon avec mes deux filles. Nous étions de bonne humeur, petite pause déjeuner pour nous 3 en chemin et je vois un message en attente. J'écoute. Il s'agissait de l'infirmière du service qui assure la logistique de mes perfusions à domicile. Elle voulait avoir ma confirmation pour la perfusion prévue le lendemain et m'annonçait qu'elle serait dosée à 8 mg/kg.
Adieu ma bonne humeur, adieu mes vacances...
Je l'ai appelée immédiatement et j'ai refusé tout net ce dosage. Elle n'avait aucun médecin sous la main pour faire une autre ordonnance. Mais il était hors de question que j'expérimente les effets secondaires d'un dosage plus important pendant ma semaine de vacances. Aucune envie de jouer au cobaye et de me retrouver complètement HS.
Je me suis mise en colère comme on me faisait sentir qu'on ne pouvait rien changer. C'était inacceptable pour moi.
J'étais tellement en colère que lorsque j'ai raccroché, mes filles m'ont demandé des explications. Elles ne voulaient pas que je sois au lit pendant nos vacances. Ma fille J., 10ans, a affirmé : "Ils vont te donner 6, sinon je vais aller devant l'hôpital avec des pancartes". Ce soutien a au moins eu le mérite de m'aider à me sentir moins seule et à me faire sourire.
Le lendemain matin, coup de fil de l'infirmière, tout était arrangé, je n'aurais un dosage que de 6 mg/kg. Cette histoire m'a juste pris la tête pendant 24H.
Je finis par partir en vacances en laissant Lyon et cancer derrière moi.
J'ai quand même eu une migraine qui a duré 2 jours et que rien ne faisait passer, arrivait juste à contenir. Depuis herceptine, c'est fréquent.
Pas grave, un jacuzzi bien chaud, un hammam bien relaxant soulagent pas mal.
Retour à Lyon, reprise du boulot.
En relevant mes mails, je reçois enfin une réponse de ma DRH concernant ma demande portant sur les jours de carence liés à mes arrêts en ALD. Ils n'ont rien compris et survolé mon courrier. Ils me proposent de passer tous mes arrêts en CLD (congé longue durée) dont la durée est limitée et fixée. J'ai aussitôt répondu que depuis 6 ans, le cumul de tous mes arrêts dépassaient la durée du CLD et que je perdrais une partie de ma rémunération. J'ai mentionné la circulaire d'application de cette loi et suggéré qu'on me l'applique, arrêts maladie classique mais pour ceux en ALD, un seul jour de carence décompté pour le premier arrêt. J'attends la suite...
Hier matin, rdv avec ma gynéco/chirurgienne. Forcément, on parle de ce bilan datant de 3 semaines. Elle me demande si je suis inquiète par ce classement ACR3 du sein droit.
Même pas... enfin pas plus qu'au quotidien... J'ai juste appris à cohabiter avec l'incertitude du lendemain.
Je ressors de là avec une pile d'ordonnance pour les futurs contrôles qui ponctueront l'année à venir.
Je remonte dans ma voiture pour retourner travailler.
Juste mon quotidien de cancéreuse.